Les bruits de crête : comprendre, mesurer, protéger


Les expositions aux bruits de crête restent souvent sous-évaluées dans les stratégies de prévention du risque bruit. Lors du choix des protecteurs auditifs, l’attention se porte majoritairement sur l’exposition quotidienne (LEX,8h).
Les niveaux d’impulsions très élevés, pourtant associés aux lésions auditives irréversibles, sont parfois insuffisamment intégrés.
Ce constat tient autant au manque d’information sur ce risque spécifique qu’à la complexité de sa mesure et de son traitement réglementaire. Pour les responsables HSE et les équipes santé-travail, maîtriser ce sujet est essentiel pour garantir une protection réelle des salariés.
Cadre réglementaire
La directive 2003/10/CE fixe trois seuils d’action pour la pression acoustique de crête, mesurée avec une pondération fréquentielle C :
| Seuil | Pression acoustique de crête |
|---|---|
| Valeurs d’exposition inférieures déclenchant l’action | 135 dB(C) |
| Valeurs d’exposition supérieures déclenchant l’action | 137 dB(C) |
| Valeur limite d’exposition (avec protection) | 140 dB(C) |
La valeur limite d’exposition de 140 dB(C) tient compte de l’atténuation apportée par le protecteur auditif.
Dépasser ce seuil, même après protection, constitue une non-conformité.
La pression acoustique de crête correspond à la valeur instantanée maximale du signal sonore, mesurée en pondération C.
Mesurer les bruits de crête
Mesurer les niveaux impulsionnels est techniquement exigeant.
Un sonomètre basique permet d’obtenir une indication instantanée du niveau en dB(A), mais ne permet pas une évaluation fiable des crêtes.
Pour les situations à risque, le recours à une structure compétente disposant d’un matériel adapté est indispensable. Les laboratoires de contrôle introduisent généralement une incertitude de mesure, souvent de l’ordre de ± 5 dB. Cette marge peut conduire à majorer le niveau retenu pour sécuriser l’évaluation, conformément aux bonnes pratiques.
Cette étape est déterminante : une erreur d’appréciation peut aboutir au choix d’un protecteur inadapté.
Sélection du protecteur auditif
La sélection doit respecter deux priorités :
- Garantir l’atténuation nécessaire pour maintenir le LEX,8h dans les limites réglementaires recommandées
- Assurer une protection suffisante contre les bruits de crête
Le niveau d’atténuation retenu pour la crête ne peut être inférieur à celui requis pour l’exposition quotidienne.
Démarche recommandée :
- Identifier le LEX,8h du poste
- Disposer d’une mesure fiable des crêtes
- Caractériser la dominante fréquentielle (basses, médiums, hautes fréquences)
- Sélectionner un protecteur répondant à ces exigences sans sur-atténuation excessive
Trois situations types :
Cas A
LEX,8h < 80 dB(A)
Crête : 140 dB(C)
Aucune protection requise pour le LEX,8h.
Pour la crête, rester < 135 dB(C) après protection.
Un protecteur avec un affaiblissement < 18 dB de SNR est suffisant.
Cas B
LEX,8h = 87 dB(A)
Crête : 149 dB(C), fréquence dominante : médiums
Pour le LEX,8h : environ 20 dB de SNR.
Pour les crêtes : un protecteur de 26-28 dB de SNR est requis.
Le critère impulsionnel devient prioritaire.
Cas C
LEX,8h = 94 dB(A)
Crête : 162 dB(C), fréquence dominante : hautes fréquences
LEX,8h : 26-29 dB de SNR.
Crête : environ 30 dB de SNR (haut-médiums).
Si prédominance médiums : un minimum d’environ 35 dB de SNR serait nécessaire.
Ces exemples sont volontairement simplifiés pour assurer la lisibilité.
Les calculs complets suivent la norme EN 458:2016 nécessitent l’utilisation d’outils spécifiques, notamment pour la prise en compte spectrale et les tolérances des annexes A, B et C.
Filtres « anti-impulsionnels » : état actuel
Certains fournisseurs proposent des filtres dits « anti-impulsionnels ».
Aujourd’hui, il n’existe pas de norme permettant de certifier un protecteur passif uniquement équipé de ce type de filtre. Son atténuation moyenne ne permet pas de satisfaire les exigences minimales des normes EN 352-1 (casques) et EN 352-2 (bouchons).
Un fabricant a intégré un filtre anti-impulsionnel dans certains modèles, mais l’ajout d’un filtre passif traditionnel a été nécessaire pour atteindre les seuils de certification, réduisant fortement l’intérêt spécifique revendiqué.
À ce jour, la prudence reste de mise : ces solutions ne remplacent pas un dimensionnement rigoureux selon EN 458 et la directive 2003/10/CE.
Conclusion
Les bruits de crête nécessitent une approche méthodique :
Mesure fiable, prise en compte du spectre, choix du protecteur cohérent avec les exigences quotidiennes et impulsionnelles.
L’enjeu est d’éviter deux écueils : sous-protection en situation de crête, ou sur-atténuation au quotidien.
La priorité demeure la protection réelle du salarié, démontrable et conforme.
Sources
Norme EN458:2016 – Protecteurs individuels contre le bruit – Recommandations relatives à la sélection, à l’utilisation, aux précautions d’emploi et à l’entretien – Document guide
DIRECTIVE 2003/10/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 6 février 2003 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (bruit)
Aller plus loin
Consultez notre article complet sur le Filtre anti-impulsionnel


