Pourquoi certains salariés détestent leurs bouchons d’oreille

Le « son dans la tête » : un phénomène encore trop ignoré avec les bouchons d’oreille.

“J’ai l’impression de parler dans un tonneau”, “je m’entends mâcher”, “c’est insupportable, je finis par les enlever”… Ces remarques, bien connues des préventeurs, illustrent l’effet d’occlusion. Ce phénomène acoustique, provoqué par le port d’un bouchon d’oreille, modifie la perception des sons produits par son propre corps : voix, mastication, respiration, battements du cœur, il est la raison pour pourquoi certains salariés détestent leurs bouchons d’oreille

Cet inconfort peut entraîner un rejet total ou un port intermittent des protections auditives, compromettant leur efficacité. Jusqu’ici, l’évaluation de cet effet reposait surtout sur des impressions subjectives. Mais une étude canadienne récente (Saint-Gaudens et al., 2022) propose une méthode simple et fiable pour mesurer objectivement l’effet d’occlusion, ouvrant la voie à une meilleure adaptation des EPI aux salariés.

Une méthode objective et réaliste, testée en laboratoire

L’équipe de chercheurs a comparé plusieurs méthodes de mesure de l’effet d’occlusion objectifs (OEobj), en conditions contrôlées, sur 30 participants. Ils ont notamment testé :

  • Des stimulations par la voix du participant lui-même (lecture de nombres ou vocalisation de voyelles),
  • Des stimulations par mastication de chewing-gum,
  • Des stimulations par transducteur osseux.

Leur objectif : identifier une méthode de mesure fiable, simple, reproductible… et applicable sur le terrain.

Leur recommandation ? Utiliser la propre voix du salarié pour provoquer l’effet d’occlusion, et mesurer la pression acoustique dans l’oreille avant et après insertion du bouchon. Cette méthode est à la fois réaliste (elle reflète les situations de communication sur le lieu de travail) et suffisamment stable pour être utilisée en pratique.

Résultats : tous les bouchons ne provoquent pas le même effet d’occlusion

Les chercheurs montrent que :

  • L’effet d’occlusion varie fortement selon le type de bouchon, la taille du conduit auditif, la profondeur d’insertion, et le type de stimulation.
  • La voix est le principal facteur de gêne rapportée, plus que la mastication ou les battements de cœur.
  • Certaines méthodes de mesure surestiment l’effet d’occlusion, notamment celles qui ne tiennent pas compte de la conduction aérienne de la voix dans une oreille non obstruée.

L’étude propose un indicateur simple pour quantifier l’effet d’occlusion : l’amplification moyenne du niveau sonore entre 160 et 500 Hz. Cet indicateur est suffisamment robuste pour comparer les modèles de bouchons, ou suivre l’évolution d’un salarié dans le temps.

En quoi cela concerne les entreprises ?

1. Comprendre les rejets liés à l’effet d’occlusion

Un salarié qui enlève son bouchon pour “mieux s’entendre parler” n’est pas un mauvais élève : il réagit à une gêne physiologique réelle. L’étude permet d’objectiver ce ressenti.

2. Choisir les bons modèles

Certains bouchons provoquent moins d’effet d’occlusion que d’autres (en particulier ceux qui laissent passer certaines fréquences ou sont insérés plus profondément). En mesurant OEobj, il devient possible de comparer objectivement les modèles avant déploiement massif.

3. Adapter la prévention au terrain

La méthode proposée repose sur la voix et peut être appliquée hors laboratoire, sans équipement complexe, à condition d’utiliser un micro de mesure et un logiciel de traitement acoustique. Cela ouvre la voie à une évaluation en entreprise.

4. Réhabiliter le sur-mesure

Si un salarié est très gêné par l’effet d’occlusion avec des bouchons standards, une solution sur mesure peut réduire cette gêne en s’adaptant mieux à son conduit auditif et en contrôlant la profondeur d’insertion.

Conclusion : vers une prévention plus confortable… et plus respectée

L’efficacité des bouchons ne suffit pas : s’ils sont mal acceptés, ils ne protègent pas. Grâce à cette étude, il devient possible de mesurer objectivement une cause fréquente d’abandon des bouchons et d’y répondre de manière concrète.

Prendre en compte l’effet d’occlusion, c’est faire un pas de plus vers une protection auditive réellement portée, et donc réellement efficace.

Sources

Saint-Gaudens, H., Nélisse, H., Sgard, F., & Doutres, O. (2022). Towards a practical methodology for assessment of the objective occlusion effect induced by earplugs. The Journal of the Acoustical Society of America, 151(6), 4086–4100. https://doi.org/10.1121/10.0011696

Aller plus loin

Consulter l’article sur l’effet d’occlusion