Employeur : faute inexcusable en cas de surdité
L’exposition prolongée à un environnement sonore nocif constitue un risque majeur pour les salariés, et la responsabilité des employeurs en la matière est clairement établie par le Code du travail et la jurisprudence française. La faute inexcusable peut notamment être invoquée par un salarié victime de surdité professionnelle lorsque l’employeur n’a pas respecté son obligation de sécurité.

L’obligation de sécurité : une obligation de résultat
Selon l’article L. 4121-1 du Code du travail, tout employeur est tenu à une obligation générale de sécurité envers ses salariés, impliquant la mise en œuvre effective de toutes les mesures nécessaires pour protéger leur santé physique et mentale. Cette obligation est considérée par la jurisprudence comme une obligation de résultat, ce qui signifie que l’employeur doit garantir un environnement de travail exempt de risques identifiés tels que le bruit excessif.
La Cour de cassation rappelle régulièrement cette obligation stricte. Dans un arrêt de 2014, elle a confirmé que la faute inexcusable est établie dès lors que l’employeur « avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié » sans prendre les mesures adéquates pour le protéger (Cass. Civ. 2ème, 6 novembre 2014, n° 13-20.768).
Quand parle-t-on de faute inexcusable ?
La faute inexcusable de l’employeur est reconnue lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :
- L’employeur connaissait ou aurait dû connaître le danger auquel il exposait son salarié.
- Il n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir ou supprimer ce danger.
Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Rouen en 2024, un salarié ayant développé une hypoacousie due à l’exposition continue à un niveau sonore supérieur aux seuils légaux a obtenu la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. La cour a constaté que, malgré les dispositions du Code du travail en vigueur depuis 1988 concernant la prévention du risque bruit, l’employeur avait privilégié des protections individuelles insuffisantes, sans prendre les mesures collectives adéquates pour réduire le bruit à la source (CA Rouen, 9 février 2024, RG n° 22/00168).
Exemples de situations jugées fautives
Plusieurs jugements illustrent la reconnaissance de la faute inexcusable liée à l’exposition au bruit :
- Cour d’appel de Bordeaux (2023) : La responsabilité de l’employeur a été retenue en raison de son incapacité à démontrer qu’il avait mis en œuvre des contrôles réguliers et suffisants du port des équipements de protection auditive, ainsi que des mesures collectives efficaces pour diminuer l’exposition au bruit (CA Bordeaux, 14 décembre 2023, RG 22/02274).
- Cour d’appel de Colmar (2020) : Reconnaissance de la faute inexcusable après qu’un salarié ait subi une aggravation de sa surdité professionnelle en raison d’une nouvelle exposition au bruit malgré un avis médical recommandant une affectation à un poste non bruyant (CA Colmar, 14 mai 2020, RG 17/02023).
Limites des mesures individuelles et nécessité d’une approche globale
La jurisprudence indique clairement que la simple fourniture de protections auditives individuelles (bouchons ou casques antibruit) ne suffit pas à exonérer l’employeur de sa responsabilité si l’environnement reste globalement nocif pour l’audition des salariés. Une approche globale et intégrée est donc indispensable, comprenant notamment :
- Des évaluations régulières des niveaux sonores.
- Des mesures techniques de réduction du bruit à la source.
- Une organisation du travail permettant des temps de récupération auditive.
- Le contrôle régulier du port effectif et de la bonne efficacité des protections auditives.
- La formation des salariés aux risques liés au bruit et à l’utilisation appropriée des équipements de protection.
Responsabilité pénale associée à la faute inexcusable
Au-delà des conséquences civiles liées à la reconnaissance de la faute inexcusable, la responsabilité pénale de l’employeur peut également être engagée en cas de manquement grave à son obligation de sécurité, même si un salarié refuse de porter les équipements fournis. La jurisprudence est constante sur ce point : l’employeur doit non seulement fournir les EPI, mais aussi assurer activement leur utilisation effective par des contrôles et des actions régulières de sensibilisation (Cour de cassation, arrêts du 5 décembre 2000 et du 25 septembre 2012).
Conclusion : une responsabilité lourde mais évitable
L’employeur qui ne prend pas suffisamment en compte le risque bruit engage sa responsabilité au titre de la faute inexcusable, avec des conséquences financières potentiellement importantes pouvant aller de plusieurs milliers à plusieurs dizaines de milliers d’euros par salarié concerné, incluant majoration de rente, indemnités complémentaires et frais juridiques associés. Pour prévenir ce risque, il doit adopter une démarche proactive de prévention intégrant mesures techniques, organisationnelles, sensibilisation, formation, et contrôle rigoureux de la mise en application des consignes de sécurité. Ainsi, il protège non seulement la santé de ses salariés, mais aussi l’intégrité économique et juridique de son entreprise.
Sources
Cour d’appel de Bordeaux – CHAMBRE SOCIALE SECTION B – 14 décembre 2023 – RG n° 22/02274
Cour d’appel de Rouen – Chambre Sociale – 9 février 2024 – RG n° 22/00168
Cour de cassation – Deuxième chambre civile – 4 avril 2018 – Pourvoi n° 17-11.876
Cour d’appel de Colmar – Chambre 4 sb – 14 mai 2020 – n°17/02023
Cour de cassation – Deuxième chambre civile – 6 novembre 2014 – n°13-20.768
Aller plus loin
Consultez l’article sur la Responsabilité pénale face au refus de port des EPI