Faut-il changer notre manière de mesurer le bruit ?

Entre normes réglementaires, seuils de vigilance et valeurs limites d’exposition, les indicateurs de bruit sont nombreux. Mais sont-ils tous équivalents pour évaluer le risque réel de perte auditive chez les salariés ? Dans ces conditions faut-il changer notre manière de mesurer le bruit ?

Cette étude américaine éclaire un débat fondamental : faut-il privilégier le LEQ (NIOSH1) ou le LAVG (OSHA2) dans les évaluations du risque de surdité professionnelle ?

mesurer le bruit

Deux manières de mesurer le bruit… avec des conséquences différentes

Dans le monde de la prévention auditive, deux grandes approches coexistent :

  • LAVG3 (utilisé par l’OSHA) repose sur un échange taux/temps de 5 dB : chaque fois que le niveau sonore augmente de 5 dB, le temps d’exposition admissible est divisé par deux.
  • LEQ4 (recommandé par le NIOSH) utilise un échange de 3 dB, plus strict, basé sur l’hypothèse dite « d’énergie équivalente ».

Ce choix technique a un impact direct sur l’estimation du risque. Par exemple, à 100 dB(A), le LAVG autorise 1 heure d’exposition, alors que le LEQ limite à 15 minutes. Mais lequel des deux décrit le mieux ce qui se passe réellement dans l’oreille ?

L’étude : 10 ans de suivi chez des apprentis du BTP

Les chercheurs ont suivi 316 jeunes travailleurs du bâtiment pendant 10 ans. Chaque année, leur exposition sonore a été mesurée précisément (avec 1310 enregistrements), et des audiogrammes ont été réalisés. Objectif : vérifier quel indicateur (LEQ ou LAVG) prédit le mieux la perte auditive réelle.

Les résultats ont été modélisés statistiquement, et comparés aux prédictions théoriques de la norme ISO 1999:2013.

Résultats : le LEQ plus fiable que le LAVG

  • Le LEQ s’avère plus prédictif des pertes auditives mesurées, en particulier aux fréquences critiques de 3 et 4 kHz, les plus sensibles aux atteintes dues au bruit.
  • Sur 18 comparaisons, le L LEQ est plus proche des prédictions ISO dans 77 % des cas.
  • L’étude conclut que le LEQ fournit une meilleure base pour estimer les effets auditifs réels, surtout dans les environnements à bruit intermittent comme le BTP.

« Bien que les différences soient parfois faibles, le LEQ donne des estimations plus précises du risque auditif que le LAVG dans cette cohorte. » (Roberts et al., 2018)

Conséquences pratiques

  • Le LAVG est encore utilisé dans plusieurs réglementations, dont la norme américaine OSHA.
  • Le LEQ (3 dB d’échange) est déjà la référence dans de nombreux pays européens, et recommandé par le NIOSH, l’ACGIH et l’ISO.
  • En entreprise, les sonomètres modernes peuvent mesurer les deux, mais le LEQ est préférable si l’objectif est la prévention de la surdité et non seulement la conformité réglementaire.

Conclusion

Cette étude renforce un consensus croissant : le LEQ, associé à un facteur d’échange de 3 dB, est plus précis pour évaluer le risque de surdité professionnelle. Il devrait être privilégié dans les politiques de prévention, même si cela conduit à reconsidérer les durées d’exposition admissibles.

Dans les milieux bruyants et fluctuants (construction, industrie, maintenance…), la méthode de calcul du bruit peut faire la différence entre protection efficace et illusion de sécurité.


[1] : NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health)
Organisme de recherche public américain qui recommande des normes de prévention des risques professionnels, y compris pour le bruit. Ses recommandations sont plus protectrices que celles de l’OSHA.

[2] : OSHA (Occupational Safety and Health Administration)
Agence gouvernementale américaine chargée de la réglementation de la santé et de la sécurité au travail. Elle fixe les limites d’exposition au bruit en entreprise aux États-Unis.

[3] : LAVG (niveau moyen selon OSHA)
Aux États-Unis, l’OSHA utilise une méthode où l’énergie sonore est divisée par deux tous les 5 dB, et non tous les 3 dB comme en France.

Cela revient à dire : « 8 heures à 90 dB = 4 heures à 95 dB = 2 heures à 100 dB »

Moins sensible aux pics de bruit
Cette méthode tolère des expositions plus longues à des niveaux élevés, mais sous-estime le risque dans les environnements très variables comme les chantiers ou les usines.

[4] : LEQ (niveau équivalent continu)
C’est la méthode la plus utilisée en France. Elle suppose que chaque augmentation de 3 dB double l’énergie sonore reçue par l’oreille.

Cela revient à dire : « 2 heures à 88 dB = 4 heures à 85 dB = 8 heures à 82 dB »

Très sensible aux pics de bruit : une courte période très bruyante pèse lourd dans le calcul.
Méthode stricte et protectrice, recommandée par l’INRS, l’ISO et le NIOSH.

Source

Roberts B., Seixas N., Mukherjee B., Neitzel R. (2018). Evaluating the Risk of Noise-Induced Hearing Loss Using Different Noise Measurement Criteria, Annals of Work Exposures and Health, 62(3), 295–306.

Aller plus loin

Consultez l’article Évaluer les risques et mesurer le bruit