La conduction osseuse, une limite méconnue des protecteurs auditifs
Les protecteurs auditifs sont essentiels dans les environnements à fort niveau sonore, mais même les meilleurs bouchons ou casques ont une limite physique : la conduction osseuse. Explorons cette voie de transmission sonore souvent ignorée, mais qui peut expliquer pourquoi certains travailleurs continuent à perdre de l’audition malgré un équipement correctement porté. Nous verrons que dans des environnements extrêmes, la conduction osseuse devient la principale voie de transmission sonore et qu’il existe des moyens partiels d’en réduire les effets.

La conduction osseuse : de quoi s’agit-il ?
Contrairement à la conduction aérienne classique, où le son passe par le conduit auditif jusqu’au tympan, la conduction osseuse transmet le son par vibrations du crâne, atteignant directement la cochlée en contournant le tympan. Cette voie devient significative à partir de 80 à 90 dB(A), et dominante dans des environnements de plus de 120 dB(A).
Plusieurs mécanismes sont impliqués :
- La conduction inertielle ossiculaire (vibration des osselets par inertie),
- La conduction par déformation du crâne,
- L’effet osseo-tympanique, où la vibration de la paroi du conduit auditif génère une pression interne,
- La conduction liquidienne via les fluides céphalo-rachidiens.
Quelle limite impose la conduction osseuse ?
Même avec une double protection (bouchons + casque), le niveau d’atténuation global est limité à environ 40 à 60 dB selon la fréquence, à cause de ces voies de transmission osseuses¹. Au-delà de ce seuil, aucun protecteur auditif ne peut protéger efficacement sans intervention sur l’ensemble du crâne, voire du torse².
En particulier, le pic de transmission osseuse se situe entre 1,5 et 2 kHz, en lien avec une résonance naturelle de l’oreille moyenne³.
Des stratégies pour repousser les limites ?
Plusieurs approches ont été explorées :
- L’usage combiné de bouchons profondément insérés, casques à forte pression, et casques intégraux.
- Des expériences ont montré que l’application d’une pression statique dans le conduit auditif pouvait réduire la mobilité de l’oreille moyenne et donc atténuer la transmission par conduction osseuse (jusqu’à 8 dB à 1,6 kHz)³.
- Une autre piste consiste à intégrer une protection du crâne entier, via des casques militaires ou des systèmes englobants, voire une protection du torse (rare mais envisagée en laboratoire).
Et dans le monde réel ?
Ces limites ne concernent pas la majorité des situations industrielles. Mais dans des environnements extrêmes — aviation militaire, moteurs fusées, essais de détonation —, la conduction osseuse devient la principale cause de risque auditif. Ces données doivent inciter à la prudence sur l’interprétation des courbes d’atténuation des fabricants : celles-ci ne prennent pas en compte cette limite physique.
Conclusion
La conduction osseuse est un maillon faible dans les chaînes de protection auditive en environnement extrême. Mieux la comprendre permet d’adapter les solutions, de combiner les protections efficacement, et de ne pas tomber dans un excès de confiance lié aux chiffres d’atténuation. Car même un casque parfait ne pourra pas arrêter un son que le crâne lui-même transmet.
Sources
- Berger, E. H., & Kieper, R. W. (2003). Hearing protection: Surpassing the limits to attenuation imposed by the bone-conduction pathways. J. Acoust. Soc. Am., 114(4), 1955–1967.
- Dietz, A. J., May, B. S., Knaus, D. A., & Greeley, H. P. (2005). Hearing Protection for Bone-Conducted Sound. RTO-MP-HFM-123, Paper 14. NATO RTO.
- Homma, K., Shimizu, Y., Kim, N., Du, Y., & Puria, S. (2010). Effects of ear-canal pressurization on middle-ear bone- and air-conduction responses. Hearing Research, 263(1–2), 204–215.
Aller plus loin
Consultez l’article sur Une protection auditive à efficacité variable et pourquoi la forme du conduit auditif change tout dans l’efficacité des bouchons d’oreille