Les bouchons sur mesure tiennent ils leurs promesses ?

Les bouchons sur mesure sont souvent perçus comme la solution idéale : confortables, réutilisables, parfaitement adaptés à l’anatomie. Mais les bouchons sur mesure tiennent ils leurs promesses ? Quelle est leur performance réelle en conditions de travail ? C’est ce qu’a mesuré l’INRS avec une méthode de terrain inédite : des microphones insérés directement dans les bouchons pour enregistrer, en simultané, le niveau sonore extérieur et celui ressenti sous le bouchon pendant l’activité.

Résultat : l’atténuation réelle est souvent inférieure de 5 à 10 dB à celle annoncée par les fabricants, notamment dans les basses fréquences.

Système MIRE
Système MIRE (Microphone In Real Ear) composé de : (1 et 4) microphones électrets ; (2) enregistreur numérique portable à deux canaux ; (3) conditionneurs ; (5) dosimètre microphone ; (6) dosimètre ; (7) sac.

Méthode : mesurer directement dans l’oreille

63 salariés de 9 sites industriels (métallurgie, verrerie, mécanique…) ont été équipés de bouchons sur mesure modifiés pour intégrer un microphone miniature au plus proche du tympan. Un second microphone était positionné juste à l’extérieur de l’oreille (voir photos ci-dessus). Les enregistrements ont duré entre 1h30 et 2h30 pendant le travail réel.

Chaque bouchon testé appartenait à l’un des 3 fabricants partenaires. La différence entre les niveaux mesurés a permis d’estimer une pseudo-atténuation (pREAT) corrigée, plus proche de la réalité que les valeurs REAT issues des tests en laboratoire.

Résultats : une efficacité variable selon la fréquence

  • À haute fréquence (≥ 2000 Hz), l’atténuation mesurée (pREAT) est relativement proche de la valeur annoncée, avec un écart moyen de 3 dB, considéré comme acceptable.
  • À basse et moyenne fréquence (125 à 1000 Hz), l’écart est plus marqué : de 5 à 10 dB selon les modèles.
  • Un fabricant (CMEP3) présente des résultats très inférieurs (voir résultats ci-dessous), probablement dus à des défauts de fabrication ou d’empreinte.
  • Aucune dégradation de l’atténuation n’a été observée pendant la durée du port (jusqu’à 2h30), ce qui indique une bonne stabilité une fois le bouchon bien ajusté​.
Comparaison entre atténuation certifiée (REAT) et atténuation mesurée en situation réelle (pREAT) pour le protecteur CMEP1
Les résultats montrent un bon alignement aux hautes fréquences, avec un écart modéré aux fréquences basses et moyennes. Le profil d’atténuation reste cohérent avec les performances attendues en conditions industrielles.
Comparaison entre atténuation certifiée (REAT) et atténuation mesurée en situation réelle (pREAT) pour le protecteur CMEP2
Les écarts observés sont similaires à ceux du CMEP1, avec une atténuation légèrement surestimée en laboratoire, notamment entre 125 Hz et 1000 Hz. La reproductibilité des résultats confirme une fabrication globalement maîtrisée.
Comparaison entre atténuation certifiée (REAT) et atténuation mesurée en situation réelle (pREAT) pour le protecteur CMEP3
Les écarts importants observés sur l’ensemble du spectre suggèrent une surévaluation systématique des performances en laboratoire. La faible atténuation réelle, conjuguée à une faible variabilité inter-individuelle, interroge sur la qualité de fabrication ou la prise d’empreinte, laissant supposer un défaut de conception ou de méthode pour ce modèle.

Raisons de l’écart entre théorie et pratique

Plusieurs facteurs expliquent cette différence :

  • Les tests en laboratoire (REAT) se font dans des conditions idéales, avec des sujets formés, au calme, en posture immobile.
  • En entreprise, les mouvements, les postures, les micro-fuites modifient l’ajustement.
  • L’effet d’occlusion, les bruits physiologiques internes (déglutition, parole, respiration) perturbent aussi la mesure réelle.
  • La réduction du volume des bouchons dans certains modèles récents, au nom du confort, peut nuire à la tenue en place.

Ce que cela implique pour les préventeurs

  • Il est illusoire de se baser uniquement sur les valeurs des fabricants pour calculer le niveau réel sous protection (L’A).
  • Les responsables HSE devraient :
    • Exiger des tests d’efficacité en situation réelle (fit testing),
    • Former les salariés à bien insérer leur bouchon,
    • Choisir des modèles à forte tenue en place, même au détriment d’un confort perçu temporairement plus élevé,
    • Intégrer un coefficient de sécurité dans le calcul du L’A (ex. : −5 dB par prudence),
    • Vérifier régulièrement l’état et l’usure des bouchons moulés.

Conclusion

Les bouchons sur mesure peuvent offrir une protection stable et efficace, à condition que l’empreinte soit bien faite, que la fabrication soit rigoureuse, et que le salarié les porte correctement en continu. Mais cette étude montre que la confiance aveugle dans les données fabricant est dangereuse. Ce n’est pas parce qu’un bouchon est moulé qu’il protège parfaitement. Il est a noter que cette étude publiée en 2012 ne tient pas compte des avancées importantes en terme de qualité et de fiabilité des technologies de fabrication additive dont sont désormais équipés les principaux fabricants français.

Source

INRS – Kusy, A., & Châtillon, J. (2012). Real-world attenuation of custom-moulded earplugs: Results from industrial in situ F-MIRE measurements. Applied Acoustics, 73(6–7), 639–647.