Protéger l’audition sans mettre en danger
En milieu bruyant, protéger l’audition sans mettre en danger les travailleurs est essentiel. A trop vouloir atténuer les sons, on risque parfois de les masquer. Or, dans des environnements où la sécurité dépend de la perception rapide d’un signal sonore (chantier, atelier, quai ferroviaire), mal adapter les protections auditives peut mettre des vies en danger.
Plusieurs études récentes (INRS, Université d’Ottawa, Virginia Tech) mettent en lumière un enjeu sous-estimé : protéger contre le bruit ne doit jamais compromettre la perception des signaux d’alerte.

Une idée reçue à corriger : « Plus une protection atténue, meilleure elle est »
C’est une croyance répandue mais techniquement erronée : penser qu’une protection auditive est d’autant plus efficace qu’elle atténue davantage. En réalité, l’efficacité d’une protection ne se limite pas à son pouvoir atténuateur. Une bonne protection est celle qui :
- atténue suffisamment pour protéger l’ouïe,
- sans gêner la communication, les signaux d’alerte, ou la localisation des sons.
Trop atténuer peut exposer à un autre risque : ne pas entendre une alarme.
Ce que disent les études
- L’étude INRS/SNCF (2016) a mesuré [1], chez 143 agents, l’effet de bouchons moulés avec filtres plats sur la perception de 36 signaux d’alarme dans des environnements ferroviaires bruyants :
- Dans 30 situations sur 36, le port des protecteurs ne dégrade pas significativement la perception.
- Dans plusieurs cas, le port améliore même l’audibilité en réduisant le masquage fréquentiel.
- Les dégradations surviennent principalement lorsque les alarmes sont mal conçues (fréquences trop élevées, énergie mal répartie) et que le bruit ambiant domine dans les basses fréquences.
- Giguère et al. (2009) et El Sawaf (2020) montrent [2] que :
- Une perte auditive même légère, combinée à une forte atténuation, peut rendre certains signaux totalement inaudibles.
- Les signaux doivent idéalement se situer entre 500 et 1500 Hz, comme recommandé par la norme ISO 7731.
- Robinson & Casali (2000) rappellent [3] que :
- Un PICB bien choisi peut dans certains cas améliorer l’intelligibilité, à condition qu’il ait une atténuation uniforme adaptée et que le bruit ambiant ne soit pas excessif.
Prévenir le risque sans masquer l’alerte
Voici les bonnes pratiques à intégrer dans une démarche de prévention efficace :
- Évaluer sur site l’audibilité réelle des alarmes avec les protections portées, en conditions de travail.
- Choisir des PICB à atténuation uniforme, comme ceux testés par l’INRS (bouchons moulés individuels avec filtres plats).
- Adapter la conception des alarmes : sons multifréquentiels, fondamentales dans la bonne plage, énergie bien répartie.
- Former les salariés à reconnaître les signaux d’alerte avec leurs équipements.
- Éviter la surprotection : viser une atténuation entre 15 et 20 dB si possible, sauf exposition extrême.
- Documenter cette problématique dans le DUERP, en évaluant les interactions entre protection auditive et sécurité.
Ce que dit l’INRS
« Il faut privilégier des protecteurs à atténuation relativement uniforme, et tester leur effet en conditions réelles. Le port d’un PICB ne doit pas compromettre l’audibilité des signaux de danger. » (INRS, 2016, Hygiène et sécurité du travail n°243)
Ce que disent les normes
La norme européenne EN 458 recommande [4] l’usage de protections à affaiblissement plat lorsque la reconnaissance des signaux est critique (messages vocaux, alarmes).
Conclusion
Protéger l’oreille et percevoir les signaux d’alerte ne sont pas deux objectifs contradictoires. Ils demandent simplement une approche raisonnée, fondée sur l’analyse des situations de travail, la nature des signaux, le profil auditif des travailleurs, et le choix adapté de protections.
Sources
- 1 – Arz, J.-P. (2016). Comment étudier l’effet d’un protecteur auditif sur l’audibilité des signaux avertisseurs de danger. INRS, Hygiène et sécurité du travail, n°243.
- 2 – Giguère, C., Laroche, C., Al Osman, R., Zheng, Y. (2009). Influence du port de protecteurs auditifs sur la perception des alarmes. Université d’Ottawa.
- 3 – Robinson, G. S., & Casali, J. G. (2000). Speech communications and signal detection in noise. Council for Accreditation in Occupational Hearing Conservation.
- 4 – EN 458:2016 – Protection individuelle contre le bruit – Recommandations relatives à la sélection, à l’utilisation, aux soins et à l’entretien des protecteurs auditifs
- El Sawaf, O. (2020). Audibilité des alarmes dans le bruit. Thèse de doctorat, Université Claude Bernard Lyon 1.
- Killion, M. C., DeVilbiss, E., & Stewart, J. (1988). An earplug with uniform 15-dB attenuation. The Hearing Journal, 41(5), 14–17.
Aller plus loin
Un protecteur auditif mal positionné peut également nuire non seulement à la protection auditive mais également à la perception correcte des signaux d’alerte